Bien-être au travail et intelligence collective

06 novembre 2006

Mine de rien

Le réveil sonna comme tous les matins à 6h45 précises. D'un geste machinal, Gilbert le fit taire de sa main droite puis comme dans un ballet cadencé, il replia avec application le drap et la couverture de laine. Il s'assit au bord du lit et enfila ses chaussons.
Il se dirigea vers la salle de bain, prépara le blaireau, le bol près à mousser et le coupe-chou. Il se rasa avec lenteur et méticulosité : aucun millimètre de peau ne lui échapperait.
Il jeta un œil sur le réveil posé sur la tablette et la légère tension logée au creux de son estomac se dénoua instantanément.
De retour dans sa chambre, il attrapa dans le placard une tenue de travail propre : costume noir, chemise blanche immaculée et cravate assortie.
La machine à café programmable sifflait avec régularité et l'odeur du Blue Mountain emplissait déjà l'air du modeste appartement, encore plongé dans l'obscurité. Il but son café noir à petites gorgées, comme tous les matins, enfila son parka par-dessus sa veste de costume - le temps s'était rafraîchit - descendit les six étages à pied puis se posta à l'arrêt du 51. Il savait que le bus passait d'ordinaire entre 7h20 et 7h25, et ce, invariablement depuis plus de 15 ans.

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Gilbert avait toujours vécu seul. Enfin, pas tout à fait. Il avait été élevé par sa mère, véritable maîtresse-femme. Sans jamais lui en faire clairement la demande, elle lui avait fait comprendre qu'il devait veiller sur elle et elle, sur lui. Elle dormait dans le lit qu'il occupe aujourd'hui pendant que lui dormait sur un sofa dans le salon. Cette situation ne l'avait jamais vraiment gênée même s'il avait perçu parfois les moqueries de ses camarades de classe. Sa mère était la seule femme qui avait partagé sa vie et son intimité. D'ailleurs, il ne possédait aucun secret pour elle. Elle connaissait tout de lui, savait décrypter ses moindres gestes et ses moindres mimiques. Il était sans conteste son rayon de soleil, sa raison de vivre, mais aussi et surtout sa bouée de sauvetage. Pourtant, Dieu sait qu'elle n'avait pas désiré cet enfant. Il était arrivé dans sa vie, mettant un terme brutal à une carrière qui s'annonçait brillante. Quand elle se sut enceinte, sa première pensée fut d'y mettre un terme au plus vite. Elle usa de différents moyens, des plus simples aux plus sophistiqués, pour y parvenir mais l'enfant s'accrocha. Elle y vit un signe du destin et décida alors de jouer son rôle de mère pleinement avec un dévouement tel qu'elle s'y oublia. Au fil des mois, elle noua avec cet enfant des relations extrêmement fortes et rompit tout lien social. Elle vivait comme recluse avec son fils. Lorsque Gilbert atteignit 6 ans, elle dut se résoudre à l'inscrire à l'école élémentaire de peur d'éveiller les soupçons des services sociaux. Gilbert se réjouissait de sortir de chez lui et de s'ouvrir sur l'extérieur. Dans le même temps, il appréhendait la confrontation entre son monde et le monde extérieur. Quitter sa mère ne fut pas chose facile. C'est certainement pourquoi, il se prenait d'une profonde affection pour chacune de ses institutrices. Ces attachements successifs avaient le don d'agacer sa mère et de la rendre extrêmement jalouse. Elle ne pouvait admettre qu'il puisse aimer d'autres femmes qu'elle. Elle lui en tint rigueur et perdait patience avec lui. L'amour excessif qu'elle lui avait témoigné jusque là se muait en haine farouche. Gilbert comprit donc très vite que l'école était un lieu hostile et compromettant sa tranquillité domestique. Son investissement y fut donc très relatif même s'il présentait de sérieuses prédispositions au travail scolaire. Préoccupée par cet échec, sa mère décida de le retirer de l'institution Education Nationale et de devenir sa préceptrice. D'ailleurs, elle excellait dans son rôle de pygmalion. Elle usait et abusait de son autorité - pour le bien de son enfant – Celui-ci, d'abord rebelle, s'assagit peu à peu ; le dressage faisant son œuvre. C'est finalement avec une mention Très Bien que Gilbert obtint son bac scientifique, ce qui lui permit d'intégrer une Grande Ecole et de rejoindre ainsi l'Elite de notre Nation à la plus grande fierté de sa mère.

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Gilbert regarda sa montre et les aiguilles indiquaient 7h30. Ce retard inhabituel le mettait à cran et n'augurait rien de bon. Malgré cet incident matinal, il arriva avant 8 heures à son bureau. Il prenait plaisir à pénétrer le premier dans cet antre encore tiède des présences de la veille. Il entendait encore l'effervescence qui y avait régné. Il salua le gardien de nuit qui quittait son poste de travail et comme toujours, il assurait la jonction avec le personnel d'accueil qui devait embaucher à 8 heures. Les hôtesses se présentaient souvent vers 8 heures 5 et pendant ces quelques minutes, Gilbert errait de bureau en bureau et le sentiment de puissance qu'il éprouvait alors le rendait comme fou. Il s'imaginait vociférant sur tel ou tel qui filait doux. Il se voyait et régnait seul en maître sur tout ce petit monde qu'il méprisait au plus haut point.
Ce jour-là cependant, il observa un rai de lumière sous la porte du bureau de son supérieur hiérarchique, le Directeur Général de la société. Il n'était donc pas seul aujourd'hui et pour la première fois, il s'était fait doubler. Lui qui croyait contrôler sa vie, son environnement, le monde. Mais il n'en était rien en fait ! Il se sentit alors petit, misérable, merdeux, rien. Malgré sa position prestigieuse et enviée, malgré le respect et la crainte qu'il inspirait à ses collègues et à ses collaborateurs, il savait au fond de lui que sa vie étriquée, immuablement rythmée ne valait rien. Il se sentait inutile et bon à rien. L'abîme entre ce qu'il ressentait dans son for intérieur et l'image sociale qu'il donnait de lui était source de vertige. Il s'affaissa lourdement sur le siège posé à proximité et épongea son front moite. Lorsqu'il reprit ses esprits, une jeune femme le regardait le sourire aux lèvres. Elle semblait lui parler et ses propos étaient pour lui inintelligibles et nimbés dans un halo cotonneux. Pourtant, il arrivait encore à distinguer son visage et ses mimiques. Il y lut de la surprise, de la moquerie et un sentiment de honte l'envahit. Sa dignité de Cadre Supérieur était mise à mal par une "pétasse" juvénile, et vulgaire de surcroît. Cela lui était tout bonnement insupportable. Il ravala son fiel, se redressa et rejoignit son bureau non sans adresser un regard noir à l'hôtesse.

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Son parcours dans le Supérieur lui fut d'une grande facilité sur le plan strictement scolaire. Ce fut nettement plus difficile du point de vue des relations sociales. Il confirma en tout premier lieu la véracité du proverbe "qui se ressemble s'assemble". Il appartenait, si l'on peut parler d'appartenance, à la catégorie des éléments isolés tels des électrons libres gravitant autour d'un noyau central plutôt compact et composé de gosses issus de familles bourgeoises aisées et présentant invariablement dans leur jeu : le père, la mère, les deux ou trois enfants et le chien. Lui, l'enfant sans père faisait figure de paria, d'original, d'handicapé. Par-dessus le marché, leur fortune, conséquente par le passé, s'était au fil des années réduite à peau de chagrin. L'heure était aux restrictions et il dut à plusieurs reprises s'abaisser à de vils travaux pour faire bouillir la marmite ou s'acheter un vêtement décent. L'indigence, somme toute relative, dans laquelle ils vivaient avec sa mère, fut maintes fois source de honte mais elle lui apprit également la duplicité. Le double jeu devint même sa grande spécialité. Il y aurait désormais l'extérieur, le "donné à voir, à entendre et à penser", le beau, l'admirable, et l'intérieur, "le dissimulé, le retenu, le réprimé, le laid et l'indigne". Il s'était alors juré de ne plus jamais donner prise à l'humiliation, de donner le change et d'adopter la formule "everything is under control".

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La matinée se passa sans incident majeur si ce n'est une douleur aigüe dans le bas ventre qui le contraignit à plusieurs reprises à fréquenter les toilettes. La diarrhée était pour lui un symptôme à ce point inhabituel que les spasmes et les sueurs froides lui firent craindre une péritonite. Il se fit donc porter pâle l'après-midi et resta couché chez lui.
Le rituel du lever le lendemain fut identique à ceux des jours précédents et le malaise éprouvé la veille avait déjà été relégué dans les tréfonds de son inconscient. Enfin, le croyait-il !
Car lorsqu'il poussa la porte de l'entreprise, un peu avant 8 heures, une violente douleur lui transperça l'abdomen : l'hôtesse occupait déjà son poste, pimpante et gaie. Il serra les fesses et passa devant elle sans lui décocher le moindre mot ni le moindre regard.
Installé à son bureau, l'œil hagard, il souleva le combiné téléphonique.
L'hôtesse quitta l'accueil et emprunta l'escalier de secours. Elle pénétra dans le bureau du Directeur Financier et immédiatement un bruit de clé se fit entendre dans la serrure. Une dizaine de minutes plus tard, elle en ressortit. Son visage s'était figé et elle marchait tel un somnambule à la recherche de son lit chaud et douillet. Elle retrouva sa place dans le hall d'entrée et retrouva le masque de circonstance - le sourire - en bonne professionnelle qu'elle était. Personne ne fut témoin de ce moment où la tristesse avait inondé son expression faciale. Elle n'avait croisé personne. Malheureusement, même dans le cas contraire, on n'y aurait pas prêté attention. Il n'est pas de bon ton en entreprise d'exposer ses états d'âme. Chacun se doit d'être performant, heureux de l'être et fier de le montrer. Toute autre émotion sera ni connue, ni reconnue.
Ce ballet macabre se reproduisit plusieurs semaines durant jusqu'à ce jour où la jeune femme ne se présenta pas à son poste de travail. D'aucuns s'en inquiétèrent. Quelques heures seulement. Puis, la société d'intérim a envoyé dès le lendemain une autre jeune et jolie hôtesse.

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Les douleurs au ventre avaient tout à fait disparu et la vie reprenait son cours, paisible.

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Journal du soir, rubrique des faits divers :

"Le corps sans vie d'une jeune femme a été découvert ce matin dans son appartement. La mort remonterait à quelques jours. Ce sont les voisins, alertés par des odeurs nauséabondes, qui ont alerté les services de police. Les premiers résultats de l'enquête concluent à un suicide. Cependant, à toutes fins utiles, sa famille et ses proches ont été convoqués dans la journée par l'inspecteur Rappe, chargé de l'enquête."

LE THÉÂTRE COMME PROCESSUS DE TRANSFORMATION INDIVIDUELLE

L'objectif de l'art-thérapie est d'induire un processus de changement à travers la médiation artistique. Si l'on se place d'un point de vue strictement psychanalytique, il s'agit, dans le cadre d'un atelier de drama-thérapie, d'articuler les pulsions à des représentations positives, de les réorienter symboliquement afin qu'elles puissent trouver une issue symbolique et s'exprimer au dehors de la personne (catharsis).
Or, pour qu'il y ait théâtre, il doit y avoir articulation entre imaginaire et symbolique (geste, parole, …). Ce mécanisme de catharsis (c'est-à-dire l'expression des affects dans un processus de réorganisation symbolique positive) est possible à travers, les éléments suivants qui constituent la spécificité du théâtre :

L'espace scénique

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